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    STAN MUSQUER 

    Peintre de la Guadeloupe

    depuis 1993.

     

    Portraits

    Stan Musquer

    Enseignez toutes les nations (détail)

    Icône sur bois, Or 24k.

     

     

    STAN Surfer pour s'abstraire du matérialisme.

    par Sébastien Caro.

     

     

    L’analyse critique du travail plastique de Stan relève de la dissociation entre citation et pure création, furieusement emboitées l’une et l’autre au point de faire œuvre singulière.

    Passons rapidement sur le « culturellement identifiable » qui s’offre prioritairement au regard : l’œuvre de Kahlo, le muralisme Mexicain, l’art Haïtien, le surréalisme des années trente, la figuration libre des années 80. Références qui, rapprochées sur la surface, entremêlent de fait un discours à la fois du registre du collectif (ambition muraliste) et de l’intime (comme chez Kahlo, l’autobiographique affleure) et qui s’expriment ainsi: aplats des arrières plans, expressions et formes anatomiques stylisées, modelés simples, chromatisme clair et chatoyant, jeu allègre entre motifs et sujets... Des logotypes pour des chemises tropicales, selon l’autodérision de l’auteur.

    Ces références, intuitives, non hiérarchisées, mémorielles et sentimentales, constituent le premier temps d’entrée dans l’œuvre, elles sont leur « par-avant » charmeur en quelque sorte, leur « chant des sirènes » auquel il est aisé de succomber. Elles sont aussi, dans leur entrecroisement, dans leur distance au modèle référent, la marque d’une liberté éloignant définitivement l’œuvre du doudouisme dont elle pourrait être taxée compte tenu de ses parti-pris enjolivés.

    En effet les sirènes charmeuses se taisent vite, et se muent sensiblement en sirènes hurlantes de pompiers ou d’ambulances venant tirer l’alarme de la folie douce-amère.

    Soyons clairs, le doudouïsme fait d’une région une carte postale, d’une position une posture, d’une manière de vivre un cliché. Bref, une absence de mise en question / mise en tension. Le contraire de ce qui est observable chez Stan. Le doudouïsme n’étend jamais son propos au-delà de l’anecdote, tandis que l’œuvre de Stan établie une dialectique syncrétique très caribéenne entre les sources et les inspirations personnelles.

    Prenons pour exemple cette œuvre intitulée l’Alchimiste agricole. Stan cherche ici à coaguler deux idées : l’une montrant l’importance de l’agriculture sucrière dans l’économie Guadeloupéenne d’aujourd’hui et sa place particulière dans l’imaginaire collectif, l’autre son déclin et les problèmes qu’il engendre.

    Pour ce faire, il met en scène un ouvrier assis dans un champ de canne dont l’innocente stylisation formelle ne laisse présager d’un discours radical, s’offrant à nous comme une œuvre légère et agréable. Mais il fait du bras de l’ouvrier un rejet végétal clairement identifiable comme étant de la canne, et dépeint cet ouvrier en train de se couper le bras ! Travail et outil de travail ne font plus qu’un, liés à disparaître en même temps, l’un étant responsable de la disparition de l’autre.

    L’œuvre de Stan procède souvent ainsi, on y décèle deux positionnements contradictoires (l'un du côté de la joie de vivre, l'autre teinté de mélancolie/nostalgie), qui se rejoignent sur le point suivant: l'évocation d'une Guadeloupe contemporaine, où nonchalance et bon vivre vont de pair avec inquiétude et fatalisme (incarné par exemple en cette figure métaphorique de la Calavera)… Mais revenons aux sources. 

    Les références sont à ce point assimilées et assumées que la complexité du peintre se joue autre part. Le « par-avant » ne manque pas de « par-après », une fois emporté par la vague il dévoile son après surface, à savoir un discours proprement esthétique au service d’un questionnement social inévitable.

    Là où Stan joue « perso », c’est dans cette rencontre non fortuite entre une abstraction contenue dans une planche de surf, et une figuration « surréaliste » symbolique et autobiographique. Le surf en tant que motif récurrent peut s’appréhender comme objet spécifique signifiant (liberté, choix de se mesurer avec la nature) et élément plastique propre à engager un discours sur la peinture (la peinture, comme la glisse, c’est frôler la surface pour en comprendre la profondeur). 

    Le surf est le « motif-témoin » d’une aspiration à la transcendance, ce par quoi l’œuvre s’élève vers une dynamique esthétique propre à l’art et à son histoire.

    Ouverture vers un tout autre monde que celui du figuré, par leur cadrage leur couleur rouge et leur fine ligne médiane, les surfs de Stan invitent la figure tutélaire d’un Newman au banquet du spectacle pictural. Barnett Newman n’est pas une référence gadget, les surfs de Stan en réinventent les « zips », que le peintre américain qualifiait de possible ouverture vers un ailleurs de la surface. Rappelons que Newman réfutait l’appellation « art abstrait » accolée à son œuvre pour lui préférer la formulation « art de l’abstrait », plus à même de faire comprendre la non fin en soi du caractère abstrait de ses toiles et leur filiation avec le surréalisme, l’art primitif, le communisme, la psychanalyse et la sensibilité.

    Peintre de figures, Stan traite des sujets. Le confort décoratif laisse place à l’inconfort des situations figurées. Parasités d’élégantes redondances décoratives, les sujets émergent par dessus la vague, nous retombent sur la tête, nous laissant perplexes de leur étonnante combinaison avec les signes-décors-cadres. Les luttes sociales, les syncrétismes locaux, les plaisirs aussi, sont les sujets qu’il traite, avec un décalage plastique ne laissant rien paraître immédiatement du lien sensible qui l’unit à ce pays.

    Les coulures évoquent une posture expressionniste de l’artiste, vraie fausse piste en l’occurrence. Pollock, disons-le, n’est qu’un épiphénomène chez Stan.

    Plus qu’une citation stylistique, il est davantage un point de repère où faire achever la peinture, en rappelant, par la coulure (non accidentelle, choisie, pensée, orchestrée), le caractère le plus physique du médium pictural (la peinture ça coule !).

    Mais ces coulures sont elles aussi motifs, elles sont le contrepoint des signes construits qui bordent et encadrent.

    Le « fragile équilibre » (voire la menace de la chute), voilà possiblement le point commun de nombres d’œuvres de Stan, se faisant mine de rien l’écho d’un système local politique, économique, culturel depuis longtemps aux abois (tel un cycliste céleste juché sur des planches de bois instables) .

    Motifs et sujets sont en lutte d’influence, abstractions et figures en négociation territoriale, l’espérance d’un monde meilleur passant par cet équilibre entre affect et intellection. Point d’équilibre entre deux questions : peindre à partir de qui ? et à partir d’où ?

    Soit la complexe alchimie entre une origine historique artistico-philosophique, et une autre origine géo-empirique.

    Deux territoires donc, et si l’un est mental et l’autre géographique, l’engagement sensible est leur point d’achoppement.

     

     

     

    Sébastien CARO

     

     

     

    Stan Musquer, L'Alchimiste Agricole,105x163cm, huile sur toile, 2004.

    Inventaire des collections publiques, habitation Beausoleil, Saint-Claude, Guadeloupe.

    Stan Musquer, L'Alchimiste Agricole, 105x163cm, huile sur toile, 2003. Collection publique, habitation Beau-Soleil, Guadeloupe.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Stan (Stanislas Musquer) est un plasticien, peintre français contemporain et professeur, né le 13 juin 1973 à Nantes, en Loire-Atlantique. Il vit et travaille en Guadeloupe, à Moule, depuis 1990. Il ne restera que quelques jours dans sa région natale et revendiquera d’être natif artistique de la région du Moule en Guadeloupe. Sa peinture, principalement figurative, se trouve à la croisée des cultures caribéennes, américaines et occidentales en s’inscrivant dans une esthétique de la rencontre. Stan vit une adolescence guadeloupéenne. Il est scolarisé au lycée BAIMBRIDGE, premier établissement à proposer les arts plastiques au Baccalauréat. Sa rencontre avec Yves Sicard, professeur d’arts plastiques, sera déterminante. En 1993, il expose pour la première fois au Centre des Arts et de la Culture de Point-à-Pitre. Ses premiers tableaux, très colorés, se rapprochent par la technique de ceux du peintre de la figuration libre Robert Combas. Stan avouera avoir été influencé par cette façon « qui permet de tout dire sans se soucier des intransigeances académiques ou institutionnelles ». Il s’en distancera rapidement pour trouver une signature visuelle incomparable bien que toujours respectueuse de ses sources. Dans le travail de Stan, il n' y a rien qui lui appartient vraiment mais il est pourtant l'auteur de cette rencontre selon les mots du Critique d'art Christian Bracy.  Le travail de l'artiste se situe alors entre l’icône byzantine et la scène locale caribéenne. Stan revendiquera une partie de cet héritage esthétique des enseignements qu’il obtiendra du peintre haïtien Saincilus Ismaël. En 2009, ses œuvres sont retenues pour le livre d’art Anthologie de la peinture en Guadeloupe, des origines à nos jours. Stan s’inscrit alors dans la direction d’un artiste acteur d’une réconciliation entre l’art occidental et l’art caribéen ramenant, notamment par le recours à l’expression de la figure noire, la question de l’importance des arts autres que ceux que la société occidentale aura choisi de faire légitimer (cf. Adam & Eve chassés du paradis occidental). Pour certains, Stan est actuellement dans l’histoire de la Guadeloupe celui qui imposa un regard différencié aux autres cultures sur les raisons qui ont pu conduire les représentations des personnages clefs de l’histoire de l’humanité à être tels qu’on nous les aurait toujours fait voir. Pour d’autres, Stan n’a jamais existé. Depuis 2014, l’artiste recouvre de peau noire, sur de grands tableaux, d’anciennes planches d’anatomies qu’il nomme par exemple Le dévoilement d’un secret. Peut-être pour dénoncer les sociétés visibles ou invisibles qui continuent de faire de l'argent avec le modèle humain quel qu'il soit.

     

    Nats Cole / CADG
    (Sources / Catalogue de Musée: Conseil général de la Guadeloupe - Stan, Mythologies et légendes du quotidien / internet Wikimonde)

     

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